Béatrice de Domenico - la tisseuse d'amour

06 janvier 2023

Béatrice de Domenico - la tisseuse d'amour
Béatrice de Domenico dessine ses sculptures au gré de son inspiration et des accidents de création qui l'entraînent dans des directions nouvelles. Son œuvre narrative. sans filiation particulière, suit l'évolution de sa vie intérieure. A l'aide des mythes et archétypes fondateurs. l'artiste brosse un autoportrait artistique qui joue avec l'ombre et la lumière du monde.

Nous rencontrons Béatrice de Domenico dans 50n atelier, où plusieurs périodes de création cohabitent.

Des fleurs et des baigneuses en résine côtoient des sculptures tressées en fil de fer. L'artiste a eu la chance d'acquérir une ancienne carrosserie située sous son appartement. Un cadeau du destin, dit-elle, puisqu'elle a eu vent de sa mise aux enchères quand un huissier est venu sonner à sa porte par erreur... 

L'atelier est aujourd'hui relié à son appartement par un escalier, sorte de cordon ombilical qui attache la créatrice à sa création. Il y a d'ailleurs quelque chose d'organique dans le travail qu'elle a entrepris depuis une dizaine d'années, à une période où sa vie a basculé. « J'étais en thérapie et bien entendu, pour moi, l'intérieur était plus intéressant que l'extérieur.

J'ai recommencé de zéro, à partir du squelette et des organes, m'inspirant de schémas de planches d'anatomie et d'acuponcture. J'ai arrêté d'exposer, concentrée sur mon travail, pour sortir le fil, en quelque sorte. » Béatrice s'enferme cinq ans pour 

travailler son histoire, parfaire une technique qui ne s'apparente à aucune autre, dessinant des formes dans l'espace à l'aide de fil de fer galvanisé qu'elle recouvre de tissus trempés dans la colle.

Plusieurs strates sont nécessaires pour obtenir le volume par le modelage de la résine avec la poudre de marbre, la pâte de verre et le pigment. « J'avais l'impression d'être passée au chalumeau, j'étais complètement à vit. La résine est venue comme une peau qui apporte de la chaleur, de la douceur. de la protection... » Avec beaucoup de peine, elle accouche de sa première œuvre qui sera présentée à la Messe des artistes, première sortie publique qui marque sa renaissance symbolique.

Le vaste atelier lui permet de travailler simultanément sur plusieurs pièces en même temps, de respecter les délais de séchage entre les différentes couches de résine et surtout d'observer un temps de réflexion, de maturation et de recul sur les œuvres en cours.

Certaines d'entres elles ont nécessité plusieurs années.

E pure si mueve, commencée il y a deux ans, représente un couple abrité sous un dôme tissé par des mots. L'écriture est apparue presque par hasard. Quand l'artiste a voulu signer ses pièces, se demandant comment elle pourrait y parvenir, elle a entrepris d'écrire son nom avec le fil. C'était un peu répétitif, aussi l'idée a-t-elle germé d'utiliser cette technique comme un script. A l'instar des bouddhistes qui considèrent que l'intention positive a un impact sur le monde, ses mots sont chargés d'amour, de prières de toutes les religions dans une liturgie œcuménique qui va du spirituel au charnel.

Ses pièces sont donc devenues des sortes d'« arbres à vœux » remplis de mots d'amour, de joie, de rires, de poèmes érotiques où la tendresse, l'espoir, la chance, s'entremêlent. On en attrape des bribes, le principal n'étant pas la lecture, mais la résonance positive de ses mots et le temps passé par l'artiste pour les trouver et les installer.

Béatrice de Domenico a passé son enfance au milieu d'œuvres d'art. Galeristes et courtiers en art, ses parents travaillaient essentiellement avec les impressionnistes, lécole parisienne des modernes et avec quelques artistes de l'école de Nice. D'exposition en atelier, elle croise Arman, César, Picasso, mais aussi André Villers, qui la photographie dans la galerie de ses parents. « Jamais je n'aurais imaginé devenir une artiste, car je mythifiais ces êtres-là... » Pourtant, elle bricole déjà des pièces pour exprimer ce qu'il n'est pas possible de dire et que personne ne veut entendre à ce stade-là. Après le bac, elle se dirige vers l'architecture et étudie deux ans à Luminy.

« Mon comportement inquiétait mes parents, qui m'ont rapatriée à la Villa Arson. Je détestais cette école. C'était tout le contraire de Luminy, un campus joyeux situé dans la nature avec beaucoup d'entraide entre les étudiants. La Villa Arson, c'était prétentieux et scolaire. Je m'y ennuyais profondément. A cette époque, je dessinais toute la journée en position de lotus et c'est comme ça que je me suis accrochée au dessin, en restant des heures à dessiner chez moi.

J'ai passé trois ans à la Villa Arson. Ce que je créais était trop expressif, parlant, je n'avais pas ma place là-bas. Puis je suis partie sur Paris à l'école Kouros pour apprendre l'histoire de l'art. Mes études sont un soupoudrage de tout ça... »

Les graines semées dans l’enfance germent aujourd’hui dans une œuvre narrative assumée, un autoportrait dont elle n’est pas toujours consciente. « Je me raconte. Je pars d’une photo, d’un nouveau matériel. Je peux aussi partir de rien du tout sans savoir où je vais et l’histoire se construit d’ellemême. Bien souvent je comprends ce que j’ai voulu dire lorsque la pièce est terminée et que quelqu’un me la traduit. J’ai ainsi réalisé que mes personnages n’avaient qu’une seule main ; sans doute est-ce à cause d’une fracture terrible où l’on m’a dit que je devrais oublier la sculpture… », s’interroge-t-elle, songeuse. certains symboles et éléments apparaissent de manière récurrente. La bouche, le cœur, le cerveau, mais aussi le taureau, la vache et l’oiseau. ses animaux totémiques deviennent parfois les personnages centraux de ces œuvres, l’Arène, Du pain et des jeux, Lucy in the Sky. La vache vénérée en inde est mangée et exploitée sans complexe partout ailleurs, « on l’accuse même de polluer », rajoute l’artiste, qui défend la cause animale et environnementale. mais l’humain est au cœur de tout, le pivot du monde dont l’auteur se demande encore comment il parvient à tourner. Dans Le Jardin d’Éden, une série d’œuvres murales, l’artiste poursuit sa quête avec le couple comme point central d’un questionnement métaphysique. elles sont ornées d’un poétique Kamasutra, et Béatrice de Domenico nous invite à plonger dans cette frise délicate pour déceler les corpsà-corps amoureux. Le jardin d’Éden sur lequel elle travaille actuellement concourra au gemluc* en octobre prochain. « J’étais dans le carré du couple avec l’arbre et je commençais à tisser mon Kamasutra. pour le maintenir j’ai pris des bambous. J’ai trouvé ça intéressant et je me suis dit que je pouvais faire ma colonne, mais à plat. Les pièces viennent par hasard », explique-t-elle.

Béatrice de Domenico poursuit un chemin totalement personnel, une forme de fguration libre, aérienne et poétique, loin des modes et des diktats de la pensée unique. « Je sais que dans l’art contemporain certains considèrent mon travail comme une hérésie. Trop de couleur, trop de signes expressifs et manifestes, pas assez conceptuel », déclare-t-elle. son travail est un jeu qui se situe à la lisière du dessin et de la sculpture. sosno, qu’elle croisait enfant dans la galerie de ses parents, la pressait de lui montrer son travail. peut-être ne se sentait-elle pas à la hauteur de son intérêt ? Béatrice ne répondra pas à ces sollicitations jusqu’à ce qu’il vienne la voir dans son atelier six mois avant sa mort. « mon nouveau travail lui a beaucoup plu ; il m’a dit : “Tu y es !” ». après son décès, elle participe à l’exposition posthume qui lui est consacrée à marseille, se retrouvant aux côtés des artistes majeurs de l’école de nice. 

Mais le renouveau de sa carrière, elle le doit à la Galerie Beddington. C'est encore le hasard qui favorise la rencontre avec les galeristes particulièrement actifs dans notre région et à l'international. « Quand ils sont venus visiter l'atelier, Michèle Beddington a eu un coup de cœur pour mon travail. » Béatrice exposera dans un premier temps dans le jardin de sculptures de Bargemon, puis dans leur mas, car la transparence et la finesse de son travail ont besoin d'un arrière-plan neutre pour projeter leurs ombres oniriques.

Avec les Bedding ton, Béatrice de Domenico exposera à Miami sur le Salon dissident Spectrum, pour lequel elle réalise sa première sculpture gonflable de six mètres de haut. La sculptrice aime le monumental et présente ses grandes pièces dans les jardins et les expositions de la région. « Mougins Monumental », notamment, mais aussi « Artenciel », l'exposition éphémère qui pare le village de Saint-Paul-de-Vence de sculptures et de magie jusqu'à fin octobre. Elle y présentera Liberté, écriture et espace, un personnage féminin accompagné d'un oiseau en trois dimensions.

Cet été, elle participera à un festival de musique lyrique en Toscane et présentera deux pièces dans le cadre d'un concours d'art. « Michèle Beddington se bat pour ses artistes comme peu de galeristes le font », commente Béatrice, qui se sent pleinement soutenue par la galerie.

C'est d'ailleurs chez Michèle Beddington que j'ai découvert un soir le travail de Béatrice. Au-dessus de la cheminée trônait une grande fresque murale. Je n'avais jamais rien vu de semblable et j'étais fascinée par la subtilité de la sculpture dont les ombres évoluaient avec la lumière de l'âtre.

Oue serait la vie sans art ? Et que serait lart sans l'amour ? Chez Béatrice, la couleur commence seulement à arriver. Le cœur blanc de ses premières œuvres est devenu rouge dans les dernières pièces, comme si un sang neuf irriguait l'inspiration émotionnelle de l'artiste. Béatrice de Domenico sait bien que le cœur est le maître...

Valérie Penven

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